Redonner de l’espace vital à nos cours d’eau
Corsetés depuis des décennies pour faire place aux activités humaines, nos cours d’eau avec leurs crues dévastatrices lancent un appel clair: plus d’espace, vite!
«Une rivière n’a besoin que d’un lit. Si elle a plusieurs bras, il faut s’efforcer de resserrer son cours. On le maintiendra aussi rectiligne que possible»
Un mauvais conseil qui n’a été que trop suivi… Dans notre pays, 22% des cours d’eau sont rectifiés sur quelque 14’000 km; sur le Plateau la proportion atteint 40%. Suite aux inondations causées par les rivières en crue, la renaturation des cours d’eau s’impose pour leur redonner l’espace perdu au profit de l’habitat, de l’industrie et des infrastructures. La loi fédérale sur la protection des eaux (LEaux) de 1991 a été modifiée et en 2011 de nouvelles dispositions sont entrées en vigueur, incluant la renaturation des rivières sur une période de 80 ans.
Quid en Suisse romande ?
En Suisse romande comme ailleurs, certains cantons ont déjà pris des mesures concrètes. Genève a adopté en 1997 déjà une modification de la loi cantonale sur les eaux. Elle demande la reconstitution de conditions permettant aux rivières et aux nants (en Suisse romande, nant = ruisseau) de s’écouler dans un tracé naturel, de régénérer les biotopes et de redonner aux rives leurs fonctions protectrices.
Parmi les projets-phares figurent, d’ici à 2033, la renaturation du Nant d’Avril et de son bassin versant. Long de 6 km, le cours d’eau prend sa source sous le nom de Nant de la Maille à la frontière franco-suisse et se jette dans le Rhône. Le bassin versant accueille un nombre considérable d’activités industrielles et agricoles et, malgré son important débit, la biodiversité y est quasi inexistante. La revitalisation prévue comprendra une meilleure gestion des eaux en cas de sécheresse et de crue ainsi qu’une amélioration de la biodiversité et de la fréquentation du site.
Au programme figure également la renaturation du Nant Manant du Bois de la Bâtie, entre Genève et Lancy. Les travaux prévus sur cet affluent de l’Arve aujourd’hui largement enterré concernent la consolidation et l’élargissement du lit, la végétalisation des berges et l’amélioration de la biodiversité par la création de petits lacs engendrés par des seuils. Dédié aux mobilités douces, un cheminement modèle sera mis en réseau avec les voies vertes.
L’Aire… à l’air libre
Grâce aux réalisations de l’Etat de Genève, la rivière a quitté son canal en béton pour retrouver un grand lit majeur. Comme dit la chanson, elle est libre, l’Aire! Plus de 5 km ont été revitalisés, de Certoux, doté d’une nouvelle passerelle, jusqu’à la Jonction. Une dizaine de milliers d’arbustes et roseaux ont été plantés, ainsi que 125 arbres. Innovation: de superbes îlots en losanges ont été créés en forme de «plaques de chocolat» entre lesquelles la rivière façonne elle-même son lit! Suivra la réalisation de la remise à ciel ouvert et des travaux côté français. Par ailleurs, les travaux de renaturation du Foron du Chablais genevois, frontière naturelle entre la France et la Suisse, sont terminés.
En pays fribourgeois
34% des cours d’eau fribourgeois, soit 800 km, sont fortement aménagés ou coulent sous terre. D’où une forte réduction de la diversité naturelle et du pouvoir d’autoépuration des eaux, une interruption de la migration des poissons et une banalisation du paysage. Malgré des difficultés liées à des conflits entre utilisation du territoire et aspects financiers, plusieurs dizaines de km de cours d’eau ont fait l’objet d’une revitalisation comme la Broye à Villeneuve, ou sont en cours comme la Petite Glâne (dite Broye aventicienne). Durant les 80 prochaines années, 206 km de cours d’eau devraient être revitalisés, à raison de 3 km par année.
En terre vaudoise
Vaud a entamé il y a dix ans un programme de renaturation des cours d’eau et des rives des lacs, afin de redonner à la nature le terrain qu’elle a perdu lors de l’enrochement des b berges. Pas moins de 28 km de rives sont à renaturer sur les 194 km du littoral, lac de Joux compris. A Saint-Sulpice, le projet a bénéficié des compétences de l’Université de Lausanne et de l’EPFL, dont les campus sont voisins. La renaturation s’effectue tronçon par tronçon, en prenant en compte la problématique de l’accès aux rives trop souvent inaccessibles aux piétons.
Débits résiduels et brusques éclusées
Les prélèvements d’eau dans les eaux de surface pour l’irrigation ou la production d’électricité influencent le régime hydrologique naturel des rivières. A l’aval ne s’écoule qu’une quantité d’eau réduite, dite “débit résiduel”. La loi fédérale sur la protection des eaux fixe les débits résiduels devant être respectés, selon l’importance des cours d’eau.
Dans plus de 40% des cours d’eau suisses, le charriage par le courant naturel est réduit par les aménagement, dépotoirs et centrales hydroélectriques. Ceci affecte la faune et la flore indigènes, l’alimentation des nappes phréatiques et la protection contre les crues. En outre, les débits des cours d’eau subissent parfois des variations brusques, les éclusées, qui entraînent soudain un débit 10 à 40 fois plus élevé, destructeur pour la faune aquatique.
Sur le Plateau suisse, 40% des cours d’eau sont rectifiés.
(Simone Collet)